jeudi 19 septembre 2019

un article de Jean-Bernard Pouchous qui devrait interesser mes copines sorcières



DU BALAIS …




 22-B- "Sorcière",  2003, mine de plomb sur papier, 55 x 45 cm.

Ce dessin intitulé "Sorcière" représente le décollage, depuis un ponton, d’une jeune sorcière. Montée sur son balai elle s’entraîne à voler au-dessus de la plage de Salem Massachusetts, USA. Quand elle sera bien se servir de son engin et qu’elle sera un peu plus âgée elle pourra suivre  les vieilles sorcières expérimentées dans leurs voyages au fin fond de la nuit américaine de 1692.
Le "Malleus Maleficarum" (Marteau des sorcières), écrit par les religieux  Henri Institoris ou Heinrich Kramer (1436-1505) et Jacques Sprenger  (1436-1496), est publié en 1486 (1). C’est le traité qu’utilisaient les inquisiteurs pour identifier, confondre et persécuter les sorcières. La première partie du livre affirme que les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence (sic), seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan. Les auteurs leur reproche une sexualité débridée, elles auraient le "vagin insatiable" apprécieraient particulièrement les positions "contre nature" : en particulier, elles chevauchent volontiers leurs compagnons, ce qui symboliquement renverse le rapport naturel de domination. L’église refusait aux femmes de se livrer au jeu de l’amour en dehors de la position dite du missionnaire. Les sorcières voleraient les sexes masculins et les cacheraient dans leurs nids. L’Église s’est trouvée un "bouc émissaire" à sa folie misogyne en construisant une religion dédoublée, avec une hiérarchie de démons : l’inverse de l’agneau pascal est le bouc, l’inverse de la messe est le sabbat, etc... L’inverse du chrétien est la sorcière. Le seul esprit contemporain à cette folie qui ne voyait dans la sorcellerie qu’illusions de vieilles femmes superstitieuses à qui il faudrait «quelques grains d’ellébore», est Montaigne.
« L’Eglise hésita longtemps à reconnaître une âme à la femme; mais c’est une femme qu’elle pose sur les autels, à la place d’Isis. Le christianisme permet à l’érotisme d’atteindre son sommet car il lui donne l’esprit redoutable de l’interdît. De plus, il y a rupture avec le passé réel des civilisations méditerranéennes; la croix aurait pu être la croix sexuée des Égyptiens... Il serait vain de fouiller les origines du christianisme. L’interdit est au commencement. Grégoire VII croyait que les femmes sont près du Diable; saint Thomas d’Aquin affirmait  que les démons existent par le vice et la concupiscence, ergo par le terrain privilégié de la femme. Les tentations et, enfin, le péché, ne peuvent venir que de la femme. La femme devient le sexe par excellence. Le péché est d’ailleurs un prétexte de le représenter, ce qui nous vaut les innombrables motifs érotiques dans l’art consacré aux églises. La notion du péché a une portée incalculable depuis la honte féminine jusqu’à la terreur du péché se muant en plaisir du risque couru. La « présence » du Démon engendre un monstre sexuel nouveau la sorcière. A cet amour chrétien succède l’amour courtois et l’amour chevaleresque qui subliment partiellement l’amour charnel. Les Croisades rendent l’Église presque tolérante (treize mille courtisanes suivaient les Croisés) et commence ce travail d’osmose entre Occident et Orient. » Lo Luca dans "40.000 ans d’érotisme" (2).
Parente de la Lilith (3) du mythe de Gilgamesh (4), Isis (5) semble avoir été aux temps pharaoniques la personnification du trône; son nom en hiéroglyphes Iset, signifie le siège. Dans les inscriptions égyptiennes antiques, elle est représentée sous les traits d’une femme coiffée d’un siège qui ressemble à un escabeau à trois marches. Isis,  enserre un globe lunaire entre ses cornes de vache, puis monte sur une barque de papyrus pour aller rechercher les morceaux du corps de son bien-aimé Osiris "L’œil puissant", que Seth,  le "dieu rouge", avait coupé en 14  morceaux et dispersés de tous côtés à travers le labyrinthe des marais du delta du Nil. Elle ne retrouve que 13 morceaux, la seule partie introuvable, malgré tous ses efforts et l’aide des obligeants crocodiles, fut le membre viril car il avait été mangé par des poissons. Toutefois il avait eu le temps de donner au fleuve sa force fécondante. Isis se résolut à fabriquer un phallus artificiel en argile et le consacra et insuffla à Osiris le souffle de la vie. La mythologie veut qu’elle ait ramené Osiris à la vie en lui administrant une fellation. Elle devint la coupe féminine, la matrice, qui reçoit le principe masculin et lui donna un fils, Horus le faucon sacré à jamais associé à la monarchie pharaonique.
Déesse-mère préhistorique vénérée dans le delta, les onze Ramsès lui construisirent des sanctuaires à Memphis et à Abydos. Le temple d’Isis à Philae fut construit au IV e. siècle avant J.C., sur une petite île du Nil près d’Assouan, porte du royaume de Nubie à 840 km du Caire. Dans l'Antiquité Isis faisait l'objet d'un culte à Mystères comme Artémis,  déesse de la chasse associée à la Lune, participait à la vie quotidienne en Grèce (6) et dans le paganisme romains (7), quand Apollon (le Soleil) disparaît à l'horizon, Diane resplendit dans les Cieux et répand discrètement sa lumière dans les profondeurs mystérieuses de la nuit (8).
« Si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été Mithriaste. » Joseph Ernest Renan (1823-1892) dans "Histoire des origines du christianisme" (9).
Le culte de Mithra, dieu au bonnet phrygien excluait les femmes, alors qu'elles avaient le droit de participer au culte chrétien, il fut interdit en 391 par l’ Édit de Thessalonique : L’empereur byzantin Théodose 1er le Grand (Flavius Theodosius) (-347 à -379) (10), renforça l’hégémonie de la religion chrétienne comme religion d’Etat et interdit tous les cultes païens. Vers 550, l’empereur byzantin Justinien (-483 à -565) (11), interdit le culte d’Isis au temple de Philaé, qui sera transformé en église copte. En 1971 le temple d’Isis de Philaé est noyé dans les eaux du lac Nasser, du nom du deuxième président de l’Egypte moderne Gamal Abdel Nasser (1918-1970) (12). Une catastrophe écologique d’envergure co-construite par les soviétiques en leur temps et appelée haut barrage (Assouan, 1970) qui bloque les eaux du Nil, ses crues et son limon à ce niveau de son cours. L’UNESCO a fait reconstruire à grand frais, une partie du  temple engloutie, sur l’île d’Aguilkia à 300 m plus  au nord (13).
On retrouve des temples d’Isis partout en Egypte à Behbeit El-Hagara ancienne Iséum (-360 à -246), Deir el-Chelouit  à Thèbes, à Alexandrie, Saïs, Busiris, à Gireh, Coptos, Denderah, Louxor, El Hilla en Egypte et au Soudan à Dakka, Maharraka Méroé. À l’époque gréco-romaine, Isis devint la déesse universelle, invoquée tant en Égypte que dans tout le bassin méditerranéen et au-delà.:  Byblos et Tyr  au Liban; Chypre; Antiaoche, Ephèse Halicarnasse en Turquie; Rhodes; Hiérapytna en Crète, Délos, au Pirée, Athènes, Delphes, Dion, Samos, Corinthe, en Grèce; Sabratha en Libye, Gigthis en Tunisie; Pouzzoles, Pompéi, Herculanum, Neapolis, Bénévent, Rome (Champ de Mars), Tivoli, en Italie;  Malte;  Bolonia (Baelo Claudia) en Espagne; Lyon, Metz (Niseum) en France; Mayence en Allemagne. En tant que magicienne ayant ramené Osiris à la vie, Isis est la déesse guérisseuse et protectrice des enfants. Les malades portaient parfois des amulettes à son effigie. Déesse gardienne qui veille sur son enfant, elle est souvent représentée en Isis lactans, portant son enfant Horus dans ses bras et lui donnant le sein. La Vierge allaitant le Christ n’est certainement pas sans rapport avec le souvenir de l’épouse d’Osiris et les "vierges noires chrétiennes" en sont autant de réminiscences (14). Ramené par les légions romaines sur les bords du Rhin comme au Sanctuaire d’Isis et de Mater Magna (15) à Mayence, la pratique des "tablettes  de défixion" c’est rapidement répandue dans cette région déjà chargée de croyances celtes et germaniques. Elles sont tout ce qui nous reste de ces temps reculés avec le carnaval dont l’ancêtre festif fut sûrement les "saturnales" (16). Cette pratique de magie antique sur tablette consiste littéralement à "clouer", "lier", une personne ou parfois un animal. L’objectif habituel de la défixion est donc de soumettre un autre être humain à sa volonté, de le rendre incapable d’agir selon son propre gré, pratique appelée aujourd’hui envoûtement. Les "billets de malédiction" retrouvés récemment  dans les fouilles de la capitale du Land de Rhénanie-Palatinat actuelle, par  les archéologues  étaient rédigés en latin  et enroulés ou pliés sur les tablettes. On comprend mieux comment le fait de jeter un sort (sortilège) au nom d’Isis rappelle le culte des grands-mères, des fées et des sorcières. Les tablettes déchiffrées à Mayence contenaient surtout des formules incantatoires. Il s’agit presque sans exception de maudire des personnes à cause du vol d’un bien ou d’une somme d’argent, sauf dans un cas où il s’agit d’une rivalité amoureuse entre deux femmes. Des pratiques magiques comme l’inscription de sorts ne pouvait se pratiquer publiquement au temple en présence d’un prêtre, mais en cachette, car le droit romain l’interdisait. Il semble toutefois que l’enregistrement contre honoraires de rituels de malédiction ait fait partie de la pratique ordinaire des prêtres. Il a été découvert aussi, deux figurines d’argile, dites "poupées magiques", qui fournit le meilleur aperçu sur l’imaginaire magique du sanctuaire. Il s’agit de deux hommes grossièrement stylisés, qui ont été façonnés à la main. Ces effigies avaient été jetées dans une fosse dans l’enceinte du sanctuaire. Les deux figurines présentent sur l’ensemble du corps plusieurs piqûres d’épingle, entre autre dans la région du cœur. L’une des figurines a été ensuite cassée en deux, et les morceaux tordus l’un autour de l’autre. La plus grosse des deux figurines portait une petite feuille de plomb qui devait désigner sans ambiguïté la victime à la déesse.
Le culte d’Isis devait être pratiqué le long du limes Rhin Danube où stationnaient les garnisons romaines. L’empire était immense et les cohortes étaient constituées de légionnaires de toutes provenances et de toutes croyances. Les cultes de la grande déesse étaient déjà universellement pratiqués sous diverses formes dans l’empire et chez les barbares depuis des millénaires. La découverte de Vénus paléolithique a montré que les cultes de la fécondité ou de la déesse-mère étaient pratiqués depuis fort longtemps (17). Une  magnifique petite statuette en ivoire de mammouth de (-24.000 ans), a été découverte en 1922 dans la grotte des Rideaux à Lespugue en Haute-Garonne.  Abdomen, hanches, seins, fesses, vulve sont les parties de l’anatomie souvent traitées avec générosité, comme chez certaines Vénus stéatopyges (18). D’autres découvertes prouvent que ces représentations féminines étaient appréciées dans toute l’Europe, de la méditerranéen à l’Oural comme "La dame de Brassempouy" (-29./-22.000 ans)  trouvée dans les Landes, "la Vénus de Savignano" exhumée dans la province de Modène en Italie (-29./-22.000 ans), "la Vénus de Willendorf" sortie de terre dans la vallée du Danube en  Autriche (-23.000 ans), la "vénus de Dolni" qui fut trouvée en Moravie (République Tchèque), (-29. /-25.000 ans) et encore d’autres amulettes protectrices dites apotraïques qui furent découverte dans les plaines sibérienne du lac Baïkal.
Le mot français "sorcier" et son féminin "sorcière", dérivent du latin vulgaire "diseur de sorts", du latin classique sors, sortis, désignant d’abord un procédé de divination, puis destinée, sort. Le mot qui les désigne en allemand est "Hexe" dérivé du grec ancien "aix", chèvre,  évidente référence à un monde pastoral du dieu Pan. Le mot anglais "witch" a des origines plus controversées mais parait bien provenir d’un radical "wik" d’origine tant celte que germanique. La fête des druides, la nuit de Walpurgis, Halloween, les solstices et équinoxes, les bacchanales, les fêtes de Diane,  sont autant de rituels qui étaient célébrés la nuit (19). Hécate pour les Grecs est la déesse de la lune, mère des sorcières et des fantômes. Elle est souvent accompagnée de chiens et de loups. En Russie, en Pologne et en Tchécoslovaquie, les "notchnitsa" venaient mordre et pincer les nourrissons durant leur sommeil nocturne. En Ecosse, Annis la Noire était une ogresse affreuse qui, cachée au creux d’un chêne, guettait le passage des enfants pour se délecter de leur chair tendre. Le sabbat des sorcières serait une déformation des mystères dionysiaques. Ces fêtes étaient organisées en l’honneur du "dieu cornu" de la fécondité et de la nature. Elles s’accompagnaient de libations, de danses et d’orgies sexuelles afin de stimuler la fécondité des terres.
Jean-Bernard Pouchous - 2009.
Bibliographie
22-B-1- Henry Institoris, Jacques Sprenger, traduction Amand Danet, Le Marteau des sorcières, éd. Jérôme Million, 2005.
22-B-2- Giuseppe Lo Duca, Histoire de l’érotisme, éd. Pygmalion, 1980.
22-B-3- Colette de Belloy, Lilith ou l’un possible, éd. Altess, 1999.
22-B-4- Gilgamesh, Jean Bottéro, L’épopée de Gilgamesh, éd. Gallimard, coll. L’aube des peuples, 1992.
22-B-5- Plutarque, Mario Meunier, Isis et Osiris, éd. Maisnie Tredaniel, coll. Esotérisme, 1990.
22-B-6- Marie-Christine Villanueva-Puig, Image de la vie quotidienne en Grèce dans l’antiquité, éd. Hachette Littérature, 1992.
22-B-7- Ramsay Macmullen, Le paganisme dans l'Empire romain, éd. PUF, coll. Les Chemins de l'histoire, 1987.
22-B-8- Bettina Bergman, Ada Cohen, Eva Steh, Natalie Kampen, Sexuality in Ancient Art : Near East – Egypt - Greece - and Italy, éd. Cambridge University Press, coll. Studies in New Art History & Criticism, 1996.
22-B-9- Ernest Renan, Histoire des Origines du Christianisme : Index Général, éd. Biblio Bazaar, 2009.
22-B-10- Esprit Fléchier, Histoire de Théodose le Grand, éd. Adamant Media Corporation, 2001.
22-B-11- Georges Tate, Justinien : L'épopée de l'Empire d'Orient (527-565), éd. Fayard, coll. Littérature générale, 2004.
22-B-12- Catherine Legrand, Jacques Legrand, Nasser, éd. Chronique, coll. Chronique de l'Histoire, 2006.
22-B-13- Peters-Destract, Philae le domaine d'Isis, éd. du Rocher, Champollion, 1997.
22-B-14- Thierry Wirth, Les Vierges Noires : Symboles et Réalités, éd. Oxus, coll. Spiritualité, 2009.
22-B-15- Marion Witteyer, The Sanctuary of Isis and Mater Magna, éd. Philipp von Zabern, 2006.
22-B-16- Macrobe, Charles Guittard, Les Saturnales, éd. Belles Lettres, coll. La Roue à livres, 1997.
22-B-17- Shahrukh, traduction Alain Deschamps, La grande déesse-Mère, éd. Evergreen, 2006.
22-B-18- Claudine Cohen, La femme des origines - Images de la femme dans la préhistoire occidentale, éd. Herscher, 2003.
22-B-19-Margaret Alice Murray, Le Dieu des sorcières, éd. Denoël, 1957.
22-B-20- Victor Hugo, Odes et ballades - Les Orientales, éd. Flammarion, Garnier / Poésie française, 1999.
22-B-21- Apulée, Géraldine Puccini, éd. L'âne d'or - Les métamorphoses, éd. Arléa, coll. Retour aux grands textes, 2008.
22-B-22- Mircea Eliade, Occultisme - sorcellerie et modes culturelles, éd. Gallimard, NRF essais, 1992.
22-B-23- Jacques Auguste Simon Collin de Plancy, Hubert Juin, Dictionnaire infernal : Ou Bibliothèque universelle sur les êtres - les personnages - les livres... qui tiennent aux apparitions - à la magie, au commerce de l’enfer, éd. Livre club du libraire Mesnil-sur-l’Estrée, impr. Firmin-Didot, 1963.

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